Bienvenue dans une nouvelle petite série intitulée "Résilience". Un mot à la mode en ce moment, et pour cause ! La résilence est la capacité à se reconstruire après un choc traumatique, une perte, un effondrement... Vous aurez probablement remarqué que notre monde fonctionne un peu bizarrement en ce moment. Peu de choses se passent comme on aurait pu le prévoir il y a seulement quelques mois. Et il est peu probable que tout revienne comme avant. Si tel était le cas, ce ne serait de toute manière qu'artificiel et provisoire. Notre civilisation est à bout de souffle. Elle atteint un seuil critique d'absurdité et ne peut en avoir pour bien longtemps. Et à mon sens c'est tant mieux ! Ce qui ne veut pas dire que ça ne va pas être difficile, voire très difficile, mais la fin d'un tel monde est une très bonne chose en soi...

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Il va nous falloir apprendre à vivre différemment. Avec moins, parfois avec presque rien. Mais pas moins intensément. C'est un peu ce que j'essaie de faire déjà au quotidien en limitant mon recours à la voiture, en passant du temps dans ma cabane sans électricité... Et loin d'être une privation, tout cela me procure beaucoup de plaisir. C'est pour moi la différence entre militer pour la décroissance, ce que j'estime être un acte guidé par la peur d'un certain futur, et générer une certaine décroissance comme conséquence d'une simplicité volontaire qui procure énormément de joie. Il est fort probable que la crise que nous vivons soit une des premières contractions d'un grand accouchement. L'accouchement vers un nouveau Monde. En cela elle est un mal nécessaire. Ce podcast de Isa Padovani m'a beaucoup parlé. Peut-être à vous aussi, peut-être pas...

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Mais mon propos n'est pas ici de faire un exposé sur l'effondrement. Vous en trouverez des dizaines sur internet de bien mieux faits. Moi je suis constructeur de vélos artisanaux. Je vis par et pour le vélo peut-être 20 heures par jour et le vélo et mon atelier sont pour moi un miroir du Monde et de mon Monde Intérieur (qui sont d'ailleurs des miroirs l'un de l'autre). Ce que je découvre sur mes vélos, dans mon atelier, je le découvre en moi. Alors parlons de vélo puisqu'on est ici !

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Et quel engin plus que le vélo peut symboliser la résilience ? Ce véhicule tout simple survivra très probablement aux véhicules motorisés plus complexes. Probablement pas des dizaines d'années dans le cadre d'un monde post effondrement, mais au moins le temps de nous retourner et de construire un nouveau monde, probablement sans vélo, à peu près certainement sans voiture.

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Mais nos vélos sont ils résilents ? A mon sens, 99% des vélos vendus de nos jours ne sont pas résilients. La course à la technologie, à la pseudo nouveauté pour faire vendre, à la soi-disant performance a multiplié les standards (qui n'ont au passage plus rien de standard !) tous incompatibles entre eux. Pour réparer un vélo "moderne" il faut telle pièce et toutes les autres (ou presque) ne conviennent pas. Jusque là, ça passait presque inaperçu à part aux yeux de quelques avertis tant est puissant l'attrait pour le toujours plus, le toujours mieux. Mais avec la crise actuelle cela est devenu criant. Nombre de vélos sont immobilisés à ce jour car la pièce nécessaire à leur réparation ne peut être approvisionnée. Je vais faire mon mea culpa. J'ai moi aussi recherché et recherche encore parfois ce toujours mieux et ai créé à mon échelle des solutions pas standard. Ce n'était pas dans le but de faire vendre, de rendre obsolète un ancien standard, simplement de faire "mieux que mieux". Mais le résultat est aussi une faible résilience...

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Les voyageurs sont depuis longtemps ceux qui se sont posé la question de la résilience, dans une moindre mesure, les usagers quotidiens. Mais cette notion était probabalement la dernière des préoccupations des cyclistes sportifs qu'ils soient routiers ou enduristes. De toute manière leur vélo est prévu pour 2, 3 ans de durée de vie. Après il en faut un autre, plus performant (sur le papier du moins). Ça fait fonctionner le marché, et le marché et la résilience ne font pas bon ménage... Aujourd'hui, ces mêmes sportifs sont confrontés au manque de résilience de leur vélo. On peut râler, critiquer et se lamenter. On peut aussi entendre le message. Cette crise a vraiment du bon ! Quand une civilisation, une espèce accède à un niveau de technologie trop élevé pour son niveau de conscience, elle s'autodétruit. La nature est bien faite. Il semblerait que la conscience de l'industrie du cycle soit en deça du degré de technologie atteint...

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Dans le même temps on voit chaque jour sur les sites "branchés" des montages hétéroclites de vélo anciens avec des pièces plus récentes, des cadres bricolés et des sacoches artisanales. Une certaine image de la résilience. C'est bien et c'est pas bien. C'est bien parce que ça montre qu'on peut faire des vélos excitants avec trois fois rien (au moins un sur deux de ces montages me donne envie de l'enfourcher alors qu'il est rarissime qu'un vélo neuf m'attire). C'est pas bien parce que ça lance une mode et la spéculation qui va avec... Ne vous méprenez pas sur l'image ci-dessous. Si ce vélo dans sa peinture d'origine illustre très bien mon propos, son propriétaire, mon ami Jacob, est le premier à déplorer le côté mode et la spéculation qui va avec. Jacob est cadreur, il sait fabriquer des vélos lui-même mais il trouve complètement absurde de "faire pour faire", ce en quoi je le rejoins de plus en plus (c'est une des raisons pour lesquelles les Salamandre ne sont pas de "beaux vélos" classiques mais des vélos plutôt basiques mais pas classiques). Il se régale à adpater d'anciens vélos pour son usage personnel et j'adore son dernier né.

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Je ne dis pas qu'il faut que tous nos vélos soient résilients. J'adore par exemple rouler sur Double 4, mon bon gros fat, qui n'est que très modérément résilent (plus qu'un tout suspendu électrique en 12 vitesses à commande électronique et équipé d'une tige télescopique à commande hydraulique, mais moins qu'un Rockrider 500 à 40 euros sur Leboncoin). Je ne vais pas me priver de continuer à rouler avec lui parce qu'il n'est pas résilient. Le jour où je ne pourrai plus le réparer, nous aurons vécu de bons moments ensemble et il sera temps de nous séparer. Je ne dis pas qu'il faut que tous nos vélos soient résilients mais je trouverais dommage que tous les passionnés que nous sommes n'aient pas au moins un vélo résilient (comme vous pouvez le constater, je n'ai pas encore atteint le stade du vélo unique...).

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Alors c'est quoi pour moi un vélo résilient ? Pour moi c'est déjà un vélo solide qui tombe peu en panne. C'est un vélo simple car la simplicité diminue le risque de panne. C'est aussi un vélo entretenu pour le faire durer. C'est encore un vélo facilement réparable au niveau des matériaux (soudure, ligature...), des équipements (pièces faciles à trouver en magasin, en atelier participatif, sur un vélo en panne ou à la déchetterie) et des outillages nécessaires. C'est enfin un vélo reconfigurable, un vélo qui peut accepter plusieurs systèmes de freinage, plusieurs transmissions, plusieurs tailles de roues...

Tandem American Eagle

Je ne vais pas traiter tout cela dans ce seul sujet. C'est pourquoi je lance cette série "Résilience". La suite en cliquant ici...