Remise en question...

... ou l'effet boule de neige...

Tribute to Gus a déboulé dans ma vie ces dernières semaines et il a mis le bazar dans toute ma vision des choses. Aux questions succèdent les réponses qui amènent de nouvelles questions qui appellent de nouvelles réponses et donc des expérimentations...

J'ai compris depuis pas mal de temps que positionner le poids du pilote sur la roue arrière soulage la roue avant et offre un vrai confort sur un vélo tout rigide. J'ai aussi compris qu'un vélo court, notamment avec des bases courtes, réagit plus rapidement aux déplacements de son pilote, lui permettant d'être plus réactif et d'enchaîner obstacles, sauts et autres accrobaties. Jusque là il n'y a pas de scoop. Il suffit de regarder à quoi ressemble un vélo de street ou de dirt... Là où je suis allé un peu vite (enfin je crois), c'est en créant le raccourci "confort dans le rapide = bases courtes". Comme si les bases courtes étaient le seul moyen de placer le poids du pilote sur l'arrière.

Une autre solution est de reculer la position des mains sur le guidon qui bascule tout le poids du pilote vers l'arrière, même avec des bases plus longues. Mais dans certains cas il convient de pouvoir s'avancer sur le vélo, pour détendre le dos, pour monter plus vite ou simplement pour avoir une pression équilibrée sur les deux roues en courbe... C'est là que l'on comprend que nos VTT sont bloqués en géométrie depuis des années par des guidons droits qui ne permettent pas de se déplacer efficacement sur le vélo.

Depuis quelque temps, j'expérimente des guidons qui permettent une position allongée vers l'avant, style cocottes de route, et une position arrière plus proche d'un  guidon de VTT pour le contrôle. C'est le cas sur ce guidon monté sur Laure et son petit frère Hirvii. Mais je n'avais pas encore jusque là essayé de guidon qui recule plus qu'un cintre de VTT standard.

Depuis pas mal de temps, je roule avec ce Surly Open Bar sur mon cargo et j'apprécie le contrôle du vélo que j'ai en position arrière et la possibilité de m'allonger en le tenant devant, même si je regrette que le coude à l'avant soit légèrement plongeant vers l'intérieur plutôt que montant. La semaine dernière, j'ai voulu en avoir le coeur net et je l'ai monté sur Double 4 (avec une potence très longue pour compenser). Est-ce de voir Jacob jouer comme un jeune chien avec ce même guidon sur son VTT ? Est-ce ce fameux Gus Boots Willsen avec son Tosco bar ? Probablement tout un ensemble de raisons, une synergie, une masse critique... Le bilan a été très positif. Beaucoup plus de confort, tout un tas de positions exploitables, une grande capacité à jouer et un comportement largement suffisant dans 99% de mon utilisation tout terrain. Il est clair que je suis moins à l'aise dans les terrains les plus extrêmes mais cela constitue une part infime de ma pratique. Une fois de plus on revient à la même idée de base : les pratiques extrêmes tendent à spécialiser les vélos et les limitent sur tout le reste du spectre.

Alors quand j'ai créé Tribute to Gus, j'ai aussi créé un guidon du type H-bar dérivé de cet Open Bar. un peu plus large (700 contre 666), avec le même angle arrière (53°) et avec les extrémités qui pointent vers le haut (recoupées depuis la photo). J'ai aprécié les positions offertes sur Tribute to Gus tout en regrettant de n'avoir pas été plus téméraire sur l'angle. J'avais déjà à l'idée que les classiques 45° des H-Bar popularisés par Jeff Jones n'étaient pas suffisants, raison pour laquelle j'avais adopté les 53° de l'Open Bar. Le Tosco Bar que monte Rivendell est à 75°. Mon prochain proto sera à 65°. Mon principal grief envers cet angle pas assez marqué est que les positions à l'avant deviennent vite très étroites alors qu'à l'arrière, je sens bien que je pourrais tolérer plus d'angle.

C'est dans ce passage escarpé que j'ai vraiment compris tout l'intérêt de ce guidon. Avec un angle de direction très raisonnable, j'étais vraiment loin derrière la roue, très en sécurité, comme sur un vélo avec une direction beaucoup plus couchée et un cintre VTT classique. Alors certes, avec des bases de 545mm il faudrait un recul des poignées de 50cm pour placer le pilote suffisamment en arrière et rendre Tribute to Gus confortable dans le cassant, au sens où je l'entends, mais j'ai compris à ce moment là que la géométrie des VTT était bloquée depuis des années par ces guidons droits. Et j'ai surtout enfin compris la géométrie de vélos que je ne comprenais pas jusqu'alors...

Jeff Jones, le constructeur du fond des bois devenu un fin business man, qui a créé un vélo très abouti qui défie les années. Son fameux Space Frame, associé à sa non moins fameuse Truss Fork et son étonnant H-Bar... Un grand inspirateur pour pas mal de monde, mais jusque là je ne comprenais rien à ses géométries. Que penser d'un vélo qualifié de Short Wheel Base (SWB : empattement court) dont les bases mesurent 449mm quand comme moi on cherche à taquiner les 400mm avec des pneus fat ? Ce WE à travers la nouvelle grille de lecture que m'offrait la compréhension du H-bar, j'ai compris en quoi elles étaient intéressantes.

Pour tempérer un peu il faut regarder les vidéos de Jeff. Il saute, dérape, cabre... Mais il roule toujours sur des terrains aménagés où les obstacles s'enchainent à un rythme calculé. Il a le temps de se déplacer sur le vélo. Et il mesure 6 pieds (1.83m) et roule sur des vélos taille M qui sont un peu des BMX pour lui. Un pilote moins grand sur un terrain naturel engagé et technique trouvera probablement les limites de ce type de géométrie. On crée les vélos d'abord pour soi et pour ses propres terrains. Il est logique qu'un Yann de 1,72m, poussé par un Fatscal encore un peu plus petit, sur des terrains ardéchois escarpés et absolument pas aménagés, ait créé Lara quand, outre Atlantique, Jeff se régale sur son LWB sur les trails shapés de l'Oregon...

Alors maintenant il faut tester... Hier j'ai fabriqué une fourche fat avec 70mm de déport (comme sur Tribute to Gus, c'est très supérieur aux 55mm des Jones SWB mais je veux aussi tester l'effet d'engagement d'un pneu fat avec la faible chasse générée par une direction à 69° et un déport aussi important) et des bases de 444mm qui sembleraient ridiculement courtes à Mr Jones mais qui semblent démesurées à l'auteur de Lara et sa lignée de petites soeurs. Aujourd'hui j'ai dessiné le reste du cadre. Ça peut paraître bizarre de fabriquer d'abord puis de dessiner ensuite mais c'est souvent comme ça que je procède. Je fabrique d'abord la fourche et les bases et ensuite je réinjecte leurs longueurs réelles dans le plan. Ça me permet une certaine latitude dans la fabrication par rapport à l'objectif (2mm d'erreur sur une longueur sont sans conséquence sur le comportement) mais l'erreur ne se cumule pas car la valeur réelle est prise en compte. Demain je fabrique Fat Old Sun ...

Fat Old Sun. Premier titre composé il y a cinquante ans par David Gilmour pour Pink Floyd. Un titre paru dans l'album Atom Heart Mother (vous vous rappelez, mon tall bike bleu...), sur lequel il interprète en studio le chant, la guitare, la basse et la batterie (seul le piano est revenu à Richard Wright).

Fat... Evidemment, fat ! Je m'en suis détourné un peu ces derniers temps, c'était pour mieux y revenir. Ces vélos sont tellement fabuleux ! D'une douceur incomparable mais surtout d'un roulage insoupçonné. Tel le héros de les murs de poussière de Francis Cabrel, je voulais trouver mieux, j'ai fait tout le tour de la Terre, mais en revenant sur Double 4, je me suis brûlé les yeux sur ces deux gros pneus... Qu'il mesure 50 (2 x 25) sur la route, 70 (2 x 35) sur les pistes ou 110 (2 x 55) dans les chemins, le fat est inscrit dans l'ADN de Salamandre...

Old... Oui un peu vieux, peut être un peu sage enfin. Après la turbulence de la jeunesse arriver à plus de paix, plus d'écoute et d'ouverture aux avis des autres, des solutions plus posées... Oui je ne rajeunis pas mais je vis comme un cadeau cette paix que je sens venir peu à peu sans que meure l'élan de la passion. Juste chaque jour un peu plus de tempérance et un regard attendri sur le jeune fou en moi qui démarre toujours au quart de tour...

Sun... Oui le soleil, ce bon vieux soleil, cette boule de feu qui au soir montre toute sa puissance en douceur. Quand il ne brûle plus mais réchauffe. Le feu de la Salamandre qui commence doucement à se transmuter. Alchimie...

Natif de l'automne, j'aime le soir, l'automne, les lumières chaudes et orangées, les feuilles mortes. Cette paix qui suit l'été. Et j'entends cet accord de sol majeur et David qui commence à chanter...

When that fat old sun in the sky is falling
Summer evenin' birds are calling
Summer's thunder time of year
Summer Sunday and a year
The sound of music in my ears
Distant bells
New mown grass smells so sweet
By the river holding hands
Roll me up and lay me down

And if you see
Don't make a sound
Pick your feet up off the ground
And if you hear as the warm night falls
The silver sound from a time so strange
A silver sound from a tongue so strange
Sing to me
Sing to me

When that fat old sun in the sky is falling
Summer evenin' birds are calling
Children's laughter in my ears
The last sunlight disappears
And if you see
Don't make a sound
Pick your feet up off the ground
And if you hear as the warm night falls
The silver sound from a time so strange
Sing to me
Sing to me
When that fat old sun in the sky is...

Et un magnifique solo dont lui seul a le secret sur sa vielle Telecaster...

Et pour construire ce vélo qui préfigurera peut-être une nouvelle ligne de géométries futures (la géométrie Lara garde tout son intérêt pour ceux qui veulent vraiment en découdre avec le terrain, rassurez vous...), j'utilise des morceaux d'Aurore qui m'est revenue fissurée. J'aime bien cet image d'Aurore qui se transmute en Fat Old Sun. Douce soirée à vous...