An english version is also available on the blog.
Je pourrais dire que je suis fan de Rivendell depuis des années, mais ce ne serait pas vrai. Oui j'avais déjà entendu parler d'eux mais je n'y avais pas prêté plus d'attention que ça jusqu'il y a deux semaines. Deux ou trois fois par semaine, je prends un moment sur internet pour voir ce qui se fait, trouver l'inspiration ou juste voir quelques beaux vélos. Je ne sais pas pourquoi j'ai cliqué sur la présentation du nouveau Tosco bar de Rivendell. La photo aurait pu me suffire, mais j'ai quand même cliqué sur le lien vers le site de Rivendell. Et j'ai découvert ce vélo...
Un vélo à l'allure d'un ancien vélo de femme. L'exact opposé de mes vélos habituels avec ses bases ultra longues. Et il a frappé mon esprit. Je l'ai trouvé beau dans sa simplicité et j'ai eu envie de l'enfourcher et de partir rouler. C'est presque tout ce que je demande à un vélo. Vous pouvez me dire que votre vélo est fabuleux, il peut même effectivement l'être, si je ne suis pas intégralement parcouru de frissons en le voyant, rien n'y fera... Dans le même temps, j'avais en tête l'idée que quelque part, autour de 460mm de bases, on a déjà complètement perdu le côté joueur, mais on n'a encore rien trouvé de très différent. Un peu comme si ces vélos "moyens" étaient coincés entre deux mondes. Je pensais notamment à une capacité de chargement vraiment accrue ou un roulage tranquille particulièrement agréable. Cette photo tombait à point nommé.
Bien sûr, je savais déjà que ce vélo n'avait aucune chance de devenir le "vélo unique" après lequel je cours, mon Saint Graal, du moins pas encore. A 48 ans, je ne suis pas assez vieux et je suis encore un grand gamin sur le vélo, un Zébulon. J'aime rouler la dimension 2,000001 ! En gros ma sortie idéale consiste à rouler 50km dans sa développée horizontale au ras du sol, mais en occupant autant que possible une couche de 50cm entre sol et ciel. Sauts, manuals (petits, je ne suis pas très fort à cet exercice), franchissements d'obstacles et tous les petits trucs rigolos que je peux trouver de part et d'autre du chemin sont autant d'occasions de jouer. Dire que je roule en 3D serait prétentieux et cette dimension 0,000001 peut sembler insignifiante, négligeable. Pourtant j'y tiens. Pour cette raison, je savais déjà que ce vélo ne serait pas l'Elu mais je voulais l'essayer, savoir comment il roule. J'avais le sentiment qu'il pouvait être le vélo parfait pour la dimension 2,0000001 (je sais, c'est très difficile à lire tous ces zéros mais il y en a un de plus ; ça a le mérite de nous replacer à notre toute petite échelle...). Un vélo pour un wide wild ride (essayez de le prononcer pour voir, une grande chevauchée sauvage en français...) comme me l'évoque cette photo de Deacon Patrick.
A l'évocation de ce vélo, mes amis Vedran et Jacob m'ont dit que Grant Petersen, le créateur de Rivendell, était quelqu'un d'intéressant à découvrir et que je serais bien avisé de lire son livre "Just Ride...". Dans ce livre, j'ai découvert quelqu'un qui avait une vision du vélo très proche de la mienne. Rouler sur un vélo tout simple mais fonctionnel avec une tenue normale de ville, notamment une chemise à manches longues, qui prône la sécurité dynamique plutôt que statique et a une vision libérale du port du casque, qui ne jure que par les pneus "gras" et la nourriture grasse ... Sur beaucoup de points de vue, je me sens très proche de ses opinions, une raison de plus pour essayer ce que Grant considère comme un très bon vélo. Alors pourquoi n'ai-je pas acheté un Rivendell Gus Boots Willsen ? Je pourrais dire que c'est parce qu'il n'était pas disponible mais ce serait faux. En fait, je n'étais pas prêt à dépenser son prix et également parce que je le voulais avec un boîtier excentrique pour le rendre compatible Rohloff et singlespeed, avec des fixations de freins à disque et prévu pour des pneus de 29x3,0" (les petites tailles sont prévues pour du 27.5 chez Rivendell).
...et finalement, parce qu'en tant que constructeur artisanal, je pouvais m'en fabriquer un sous deux jours... Pour plusieurs raisons, je voulais aussi tester la soudo-brasure. A mes tout débuts j'avais déjà brasé un cadre, Big Orange. Mais à l'époque, je n'avais aucune compétence dans le domaine et je voulais tellement y arriver tout seul qu'il était hors de question d'aller demander à ceux qui savent... J'ai le sentiment que la soudo-brasure est plus proche d'une certaine simplicité volontaire que le tig et j'étais vraiment mûr quand Jacob nous a montré sa technique (photo). Il y a quelques jours, mon poste tig est tombé en panne. Pas grand chose, une petite diode grillée que Pascal a découverte en quelques minutes, mais c'était pour moi un signe qu'il fallait vaiment que j'essaie la brasure. Ce cadre était l'opportunité parfaite pour cela. Vous avez vous dans le précédent message que la fourche (soudée tig certes) était déjà prête. En deux jours j'ai construit un cadre et un guidon et vendredi soir j'avais un vélo à essayer !
Hier la météo était plutôt bonne alors je suis parti à l'assaut du Serre de Barre, la montagne qui de ses 900 mètres domine la maison. 800m de grimpée sur les pistes DFCI, un petit essai en vrai VTT pour sentir les limites et une descente plein gaz sur ce que j'imagne être son domaine de prédilection.
La plus grosse partie de la montée est passée. Je me sens vraiment chez moi sur ce vélo et malgré la position très droite et un effort plutôt soutenu par une petite vitesse plus proche de mon habituel ratio singlespeed que du grand pignon d'un vélo actuel, pas de mal de dos.
Quelques mètres de single rocailleux. Pas son terrain de prédilection mais ça passe. Le vélo monte bien et est maniable. Mais je dois faire plus attention que d'habitude à ne pas accrocher les pédales et oublier le wheeling pour monter sur les obstacles. Simplement laisser le pneu avant faire le travail, une tâche dont le pneu en 29+ s'acquite plutôt bien en définitive...
Au sommet du Saint Graal (c'est comme ça que Fred et moi avions baptisé le Serre de Barre). La suite s'annonce un peu plus coton...
Si j'ai pris ce chemin, c'est uniquement pour tester les limites. Il est pentu, rocailleux et par endroits, une épaisse couche de feuilles mortes me masque les cailloux. Avec Double 4, je roule ici selle basse (je n'ai pas de tige télescopique mais je ne me prive pas de jouer avec le blocage rapide) avec de la vitesse et je m'amuse à sauter les cailloux. Cette fois-ci, j'ai juste l'objectif de réussir à passer. Avec la selle tout en haut (même 1 cm trop haut pour monter mais je n'avais pas la clé sur moi) et une forme de selle qui n'est pas exactement celle d'une selle de descente, j'ai réussi à tout passer sur le vélo, même la section un peu costaud en photo, suffisamment pentue et rocailleuse pour faire mettre pied à terre à 9 pilotes sur 10. Le vélo n'est pas amusant mais il est sûr et tolérant. La direction n'est pas aussi inclinée que sur les productions actuelles, mais la fourche rigide ne plonge pas et le déport de fourche important couplé au recul de cintre tout aussi élevé placent le pilote loin de la roue avant et la pente ne pose aucun problème.
Je me suis arrêté là parce que je n'avais pas de casque pour engager le passage suivant (à ce moment là je n'avais pas encore lu le passage du livre de Grant "le casque pousse à prendre plus de risques", c'était rigolo de le lire quelques heures après) et parce qu'il fallait que je remonte au sommet en poussant le vélo. Plus je descends, plus je pousse. J'aurais pu descendre comme ça jusqu'aux Vans mais je n'aurais pas testé la descente roulante.
Les parapentistes décollent d'ici. Pas moi, 20m plus bas la pente est trop importante même pour mon fat. Mais c'est chouette de monter jeter un oeil sur les boucles du Chassezac, sur les Vans quelque 800m plus bas, et tout au fond sur l'horizon, les Alpes enneigées. Et maintenant c'est parti pour une longue descente rapide et roulante.
Carving, cornering... Tourner est une bien pâle traduction de ces termes. Sur certains points l'anglais est plus riche que le français, disons qu'il est plus enclin à l'enrichissement par néologismes. En tout cas, c'est probablement le domaine où ce vélo excelle. Malgré sa longueur, il est très maniable, facile à balancer d'un virage à l'autre. La direction est très légère et tout à la fois très stable. En dépit d'un pneu avant de 3 pouces à profil boue, je n'ai ressenti aucun effet d'engagement, même sur le bitume. Tout aurait été un plaisir sans ce fichu vieux dérailleur DX. De manière générale je n'aime pas les dérailleurs, surtout avec des bases longues et un gros pneu. La chaine bat, accroche les crampons et passe sous la base. Un dérailleur récent aurait pas mal amélioré les choses mais pas tout résolu. A la première occasion je passe en Rohloff. Je suis certain qu'il serait fabuleux sur ce vélo.
Ces deux photos juste pour vous faire goûter la diversité de la région. Je suis parti des Vans sur le calcaire, dans la garrigue. Le plus gros de mon parcours sur le Serre de Barre s'est déroulé sur le schiste dans des forêts de châtaigniers. Et maintenant je roule sur des dalles de grès et des pistes sablonneuses dans la pinède. Si j'étais monté encore plus haut, j'aurais trouvé des forêts de sapins et des landes de montagne dans des chaos granitiques. Et encore un peu plus loin, l'Ardèche volcanique. Une région fabuleuse où habiter et parfaite pour tester toutes sortes de vélos...
Au final ce vélo est exactement ce que j'imaginais qu'il pouvait être. Un très bon rouleur au long cours, un "carver" fantastic, un cheval de travail et compagnon quotidien de choix, mais pas un lapin sautillant. Tant que je convoiterai la fine pellicule du 0,000001D, ce vélo ne pourra pas être mon Graal. Mais quelqu'un qui ne se sent pas plus d'affinité que ça avec cette mince couche qui hésite entre ciel et terre aurait tout intérêt à s'intéresser à ce genre de vélo. Il est certain que je vais proposer des vélos avec une géométrie de ce type. Ce vélo est "Tribute to Gus" alors il ressemble à "Gus Boots Willsen" mais il ne préfigure pas forcément ses successeurs. Il reste à leur trouver une identité un peu plus Salamandre...